La solidarité AFAB en milieu queer

Précisions et définitions

Dans un souci de clarté seront systématiquement incluses dans cet article sous le label « non-binaire » toute personne AFAB ne se revendiquant pas femme, homme ou transmasculine. Il ne s’agit pas ici de nier la non-binarité des personnes transmasculines se retrouvant dans ce terme mais simplement de différencier les mécanismes qui touchent les personnes effectuant complètement ou même partiellement une transition d’un sexe à l’autre, ou désirant la faire, de ceux qui touchent les personnes n’en ressentant pas le besoin. De même, si seules les personnes AFAB seront prises en compte c’est non par négation de la non-binarité des personnes non-binaires AMAB mais simplement car ces dernières ne s’inscrivent pas dans les mécanismes spécifiques expliqués ici, exclusifs à la reconstruction d’un binarisme sexuel basé sur l’assignation à la naissance.

Le terme de genre sera utilisé dans cet article dans son acception sociologique et matérialiste. Il ne désignera donc pas le sexe ressenti d’un individu mais les rapports sociaux et les processus produisant les classes de sexe homme et femme et la domination de la première sur la seconde. Par extension, le terme de sexe sera utilisé dans cet article dans sa conception matérialiste et donc anti-essentialiste, décrivant ainsi une classe sociale au sein d’un système genré. Il ne doit pas être confondu avec ce qui sera ici décrit comme « l’assignation à la naissance » et qui peut être parfois décrit à tort comme le « sexe biologique ».

AFAB : Assigned Female At Birth ; désigne les personnes assignées filles à la naissance.
AMAB :
Assigned Male At Birth ; désigne les personnes assignées garçons à la naissance.
Si ces termes seront beaucoup utilisés dans ce texte car ils sont au coeur du sujet traité, ils ne doivent pas être banalisés et utilisés en dehors de cadres stricts, au risque de commettre les mêmes erreurs qui seront décrites ici, menant à une essentialisation des individus et à une altérisation des personnes trans.

Introduction

Il y a quelques mois éclatait sur Twitter une polémique après qu’une femme trans a posté la capture d’écran d’une annonce de colocation en « non-mixité AFAB » sur laquelle elle était tombée. S’en est suivi le témoignage de nombreuses femmes trans parlant de leur expérience avec des colocations aux prérequis similaires, certaines allant éplucher les annonces « queer » de leur ville pour dénicher des publications du même genre. Mais au harcèlement de réactionnaires et militantes anti-trans sur la femme à l’origine du premier tweet s’est ajouté celui d’hommes trans et de personnes non-binaires, prétendant simultanément qu’absolument toutes ces annonces venaient de femmes cis malgré les nombreux témoignages contradictoires et que c’était en réalité tout à fait normal de ne pas vouloir vivre avec des « personnes AMAB » (comprendre « femmes trans », comme toujours lorsque l’on parle de « personnes AMAB » dans un contexte dégradant).


A la fin de l’été, une photo provoquant beaucoup de moqueries a circulé sur internet. Elle représentait un panneau à l’entrée d’un bar clamant fièrement être « AFAB-owned » (possédé par une ou des personnes AFAB). Si pour beaucoup de personnes trans elle a été une occasion de se regrouper autour d’humour communautaire se moquant de ce genre de démonstrations de fierté à l’idée d’être AFAB (par opposition, nécessairement, à l’idée beaucoup moins progressiste d’être AMAB), beaucoup d’hommes trans et de personnes non-binaires en ont de leur côté profité pour défendre cette fierté, opposer les chiffres de commerces possédés par des « personnes AFAB » à ceux possédés par des hommes (positionnant encore une fois implicitement les femmes trans dans la même catégorie), voire allant plus loin encore que ce que le panneau disait et défendant la nécessité d’avoir des « espaces en non-mixité AFAB » (encore eux).

Malgré ces exemples, qui ne sont jamais que la manifestation récente et émergée d’un iceberg beaucoup plus profond que ça, il est assez commun de voir un déni collectif dans les communautés trans de la responsabilité des hommes trans, ou même des personnes non-binaires, dans la transmisogynie latente qui sévit dans les espaces progressistes. Toute notion de discrimination visant spécifiquement les femmes trans est renvoyée comme le simple fait des femmes cis et de quelques rares hommes trans ou personnes non-binaires, qui ne constitueraient, eux, qu’une minorité dont la seule responsabilité serait purement individuelle. Et toute tentative de penser ces mécanismes comme un tout structurel est écartée comme une attaque à une unité de la communauté trans, comme de l’embyphobie ou encore de « l’anti-transmasculinité » (ou ses variantes plus ouvertement réactionnaires : la transmisandrie ou transandrophobie). Ironiquement, il sort de ces stratégies d’évitement le sentiment que, en « généralisant injustement » les actions de « quelques individus isolés », les femmes trans seraient elles-mêmes les oppresseuses dans ce rapport de force.

Si ces stratégies sont efficaces malgré toute la conscience développée dans les milieux queers et féministes des mécanismes de renversement masculinistes pour se faire passer pour les victimes des femmes, c’est, à mon sens, qu’une alliance tacite a été passée entre une partie des cis féministes, des personnes non-binaires et des hommes trans pour permettre à ces stratégies de se mettre en place sans laisser la possibilité aux femmes trans de s’en défendre. Une alliance basée sur l’assignation sexuelle à la naissance, c’est à dire, en l’occurrence, sur le fait d’être AFAB. En somme : une « solidarité AFAB ».

Les modalités de l’alliance

La forme que prend cette alliance est, une fois que l’on en a accepté l’existence, assez facile à observer et à comprendre. Dans beaucoup de milieux féministes qui ne seraient pas ouvertement réactionnaires, l’emploi du terme AFAB pour parler d’un seul bloc des femmes cis, des personnes non-binaires concernées par cette désignation et des hommes trans se multiplie malgré le relativement peu (contrairement aux croyances majoritaires) d’expériences communes existant entre ces groupes (ou du moins entre les deux premiers et le troisième). Et s’il est courant de dire face aux réactionnaires, comme un mantra, que les femmes cis ont plus en commun avec les femmes trans qu’avec les hommes trans, dès lors que les discours sont tournés vers l’intérieur des mouvements progressistes, il semble que ce fait soit oublié pour parler plus généralement des « personnes AFAB » comme un tout unique. Sans sembler se rendre compte une seule seconde de l’absence des femmes trans dans ces discours, mais en mettant un point d’honneur à ne pas exclure des individus ayant pourtant leur propre vécu spécifique, bien souvent plus éloigné des fantasmes habituels que l’on ne pourrait le croire.

Il existe de nombreux exemples de ces phénomènes, qui passent presque inaperçus tant ils sont simplement devenus la norme à mesure que l’assignation sexuelle à la naissance a remplacé celle du sexe dans les discours féministes.

S’il est toujours aussi pertinent d’évoquer comment les neuroatypies comme l’autisme ou le TDAH sont sous-diagnostiquées chez les filles de par leur propension au masking (fait de cacher ses traits « anormaux » pour se conformer aux attentes de la société) ou encore de dire à quel point les femmes sont susceptibles au gaslight de par une vie entière à voir leur parole remise en question, il est de plus en plus courant de voir les termes genrés être remplacés dans ces exemples pourtant relativement basiques du féminisme par la notion d’AFABité, effaçant de l’équation sans plus y penser toutes les femmes trans pour lesquelles ces mécanismes sont tout aussi (sinon plus encore) vrais. De même, la résurgence de discours entourant la « socialisation féminine » comme un tout uniforme qui servirait à parler du vécu des personnes ayant été élevées en tant que filles est l’un des outils principaux servant à créer une cohésion entre hommes trans et femmes cis dans les milieux progressistes, jetant le soupçon sur les femmes trans d’avoir subi une « socialisation masculine » avec ce que cela implique d’apprentissage de la misogynie et de comportements prédateurs. Et si certains vécus des hommes trans semblent souvent en accord avec ceux des femmes, les attribuer à une supposée socialisation primaire plutôt que d’en questionner l’origine jette automatiquement l’opprobre sur les femmes trans, en plus de perdre de vue comment bien d’autres populations (notamment les minorités sexuelles comme les hommes gays dans leur ensemble) peuvent également subir des mécanismes similaires dépendamment des situations.

Ces discours, loin d’être les actualisations progressistes du langage féministe qu’ils prétendent être, ne sont que l’adaptation d’un discours essentialiste selon des termes plus alignés à des prétentions progressistes et la renégociation des modalités de la transphobie dans les milieux féministes au désavantage des femmes trans, les seules à ne recevoir aucun bénéfice de ce changement de paradigme qui transforme la notion de féminité en celle d’assignation au sexe féminin à la naissance.

Quelle finalité ?

Mais qu’est-ce qui pousse ces groupes sociaux à s’allier autour d’une notion réactionnaire (celle de la primauté du sexe assigné à la naissance sur celui de la classe sexuelle, quel que soit le nom donné à ce dernier concept dans les différents courants qui traversent les milieux progressistes) qu’ils semblent pourtant prétendre combattre dans leurs discours militant, historiquement anti-essentialistes ? La réponse diffère pour chacun de ces groupes.

Le groupe le plus facile à analyser est celui des femmes cis, sur qui est généralement remis la responsabilité du maintien de la transmisogynie et d’un certain essentialisme de sexe dans les milieux féministes puisque c’est le seul de ces groupes sociaux dont il est unanime qu’il est extérieur aux groupes trans. Il existe plusieurs raisons qui expliquent l’intérêt à court terme pour les femmes cis de maintenir et exercer la transphobie et la tranmisogynie malgré leur intérêt objectif de classe à long terme d’abolir les structures de genre, matrices de leur oppression comme de celles des personnes trans dans leur ensemble. Premièrement, exercer un pouvoir sur des femmes subalternes, pour lesquelles les normes sont plus difficiles à soutenir et les conséquences de leur non application plus violentes, permet de préserver sa propre appartenance à la norme et à l’ordre social et de renégocier les termes de son oppression. Si sur le long terme cette renégociation finit généralement par se retourner contre toute classe opprimée à travers des backlash dont on peut d’ailleurs voir les effets en ce moment même sur le féminisme, c’est souvent à l’aune des conséquences directes et donc sur un temps court que les actes d’un individu s’ancrent, préférant les intérêts individuels immédiats aux intérêts de classe. Deuxièmement, au-delà des gains symboliques de place dans la hiérarchie sociale, ces structures permettent bien plus concrètement l’exploitation des catégories subalternes. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des projets étiquetés comme féministes capitaliser sur le travail de femmes précaires ou non-blanches au profit des femmes de classes supérieures. Mais ces événements ne s’arrêtent pas à la bourgeoisie féministe blanche : la plupart des cercles progressistes utilisent quotidiennement, sciemment ou non, le travail des classes subalternes, que ce soit par le travail de care, l’actualisation de concepts militants, le tractage ou encore la simple utilisation de la légitimité qu’apporte le fait d’avoir dans son camp des individus visibles se retrouvant à l’intersection de plusieurs oppressions. Les femmes trans sont ainsi utilisées à loisir dans les milieux féministes et le maintien de la transphobie permet de garder cette main d’œuvre à disposition.

Ce que leur apporte une alliance avec les hommes trans est donc de maintenir au moins partiellement ce système. Cette solidarité permet de réduire le besoin de remise en question, de transformation des structures pour les rendre plus accessibles aux femmes trans ou de changer des mots d’ordre ancrés dans une culture féministe libérale, hégémonique même à l’intérieur du militantisme queer. Pour beaucoup de ces situations, changer le vocabulaire pour recentrer la question des droits des femmes autour des droits des personnes AFAB suffit à transformer superficiellement les luttes et performer l’inclusivité. Ironiquement, cette transformation superficielle permet également de ne pas prendre en compte certains besoins matériels des hommes trans qui sont pourtant supposés être inclus sous ce terme, comme la spécificité des droits reproductifs chez eux qui devient dans les cercles féministes un mot d’ordre vague et peu pris en compte de manière concrète au sein des luttes.

Si elles sont généralement exemptées des accusations mainstream de perpétuer la transphobie (certains groupes considérant qu’elles sont une part intégrante des mouvements trans) et parfois même de celles de perpétuer la transmisogynie, les personnes non-binaires possèdent généralement peu ou prou les mêmes intérêts que les femmes cis. Cependant, cette alliance joue également un rôle clé dans le contrôle qu’elle leur permet de continuer à exercer dans la définition de la féminité, de la misogynie et de la transphobie. En effet puisque cette alliance définit la plupart des termes de la féminité comme étant de l’ordre de l’assignation à la naissance, il est ainsi possible pour les personnes non-binaires d’en réclamer la primauté sur les femmes trans tout en jouant également de leur identité pour réclamer un droit de regard sur les définitions et les mots d’ordre des luttes trans, permettant aux différents groupes sociaux de surclasser (au sens étymologique) les femmes trans sur les deux plans : celui de la féminité comme de la transitude. Ce rapport de pouvoir, constituant son propre sujet, mériterait cependant d’être plus amplement développé ailleurs.

Les intérêts des hommes trans sont quant à eux plus difficiles à déterminer, puisque ambivalents. En effet, les intérêts des hommes trans dans un rapport strictement genré sont contradictoires, puisqu’en constante tension entre ceux de dominants (puisque hommes) et dominés (puisque trans). Ils occupent ainsi une place particulière et extrêmement fluide en relation aux femmes cis, pouvant voir un intérêt à court terme au fait d’avoir un certain contrôle sur les espaces féminins, à y être considérés comme inoffensifs voire à être perçus comme une classe à protéger tout particulièrement, tout en y subissant nécessairement de la transphobie puisque cette perception ne peut se faire qu’au prix de l’intégrité de leur statut d’hommes. Notons que les intérêts à long terme des hommes trans, leurs intérêts objectifs de classe, se situent (comme pour la plupart des classes subalternes sur l’axe patriarcal) sur le même plan que les femmes, cis ou trans, à savoir celui de l’abolition des structures de genre. Mais dans bien des cas il peut être bénéfique pour les hommes trans de faire oublier leur appartenance à la classe des hommes. Ces intérêts sont multiples et souvent alignés (quoiqu’à travers des dynamiques et des intensités largement différentes) à ceux des hommes cis. Leurs stratégies peuvent ainsi être grandement rapprochées de celles des hommes de gauche d’une manière plus générale, capitalisant sur leur manque de virilité, leur appropriation d’éléments cosmétiques ou culturels traditionnellement féminins, leur apprentissage des codes féministes ou encore leur statut de victimes sur d’autres axes pour se présenter comme des alternatives à la masculinité virile souvent considérée (à tort) comme la principale source d’oppression des femmes cis. Cette transformation superficielle de la masculinité leur permet ainsi d’avoir plus facilement accès à des rapports sexuels, à regagner un certain contrôle sur les discours féministes ainsi qu’à perpétuer l’exploitation des hommes sur les femmes sous différentes formes (militantes comme domestiques). Mais là où cet « adoucissement » des hommes cis, au moins sur un plan superficiel, est régulièrement dénoncé même par les féministes les moins radicales, les hommes trans jouissent eux d’un bon soupçon notamment grâce à l’alliance qu’ils permettent d’établir au profit des femmes cis. Mais au-delà du pouvoir ainsi gagné sur les femmes cis, parfois (mais pas exclusivement) minimal au vu des concessions effectuées sur l’axe de la transitude, c’est sur les femmes trans que les hommes trans gagnent le plus de contrôle.

Dominées à la fois sur leur rapport à la transitude et au sexe, ces dernières deviennent parfaitement corvéables et n’ont bien souvent d’autre choix que de se soumettre aux discours majoritaires, dictés par tous les groupes sociaux supérieurs et faisant même généralement partie des défenseuses les plus vocales d’une alliance qui les met en défaut car n’ayant d’autre cercle vers lesquels se tourner que les milieux trans, dominés par les hommes, les milieux féministes, dominés par les femmes cis, et les milieux queers, dominés par une alliance des deux. Refuser de se soumettre à ces discours devient alors souvent bien plus dangereux que d’en subir les conséquences, le non-alignement équivalant généralement à une exclusion de tout espace dédié et ainsi à une mort sociale. Mort sociale qui peut bien souvent résulter en une mort définitive et bien moins métaphorique.

Evidemment comme pour toute alliance rien n’est monolithique et si simple que ce qui a pu être résumé ici et il existe toujours des tensions entre hommes trans, personnes non-binaires et femmes cis au sein de cette solidarité. Personne ne s’accommode complètement de sa propre situation et les différents individus cherchent à récupérer de l’agentivité et du pouvoir dans une renégociation constante des termes de l’alliance, qui peuvent varier grandement en fonction des contextes, des lieux et des rapports de force.

L’opposition

Tous ces groupes sociaux sont cependant traversés de contradictions, même au sein des mouvements queer à tendance libérale, et si cette solidarité semble occuper une place importante dans les groupes culturels et politiques revendiquant les luttes contre le sexisme et la transphobie, les manifestations de solidarité avec les femmes trans ne sont pas à sous-estimer.

Parmi les femmes cis, les lesbiennes peuvent par exemple de plus en plus souvent faire montre de plus de solidarité avec les femmes trans qu’avec les hommes, notamment en remarquant les nombreuses similitudes qui existent entre la transmisogynie et la lesbophobie et le sort réservé aux femmes d’une manière générale, corvéables par leurs homologues masculins, dans les luttes LGBTI. Et même dans les cercles hétérosexuels l’acceptation des femmes trans comme faisant partie de membres à part entière de leur classe est de plus en plus naturel chez les jeunes générations, rendant de plus en plus difficile toute identification à notre assignation sexuelle à la naissance et amenuisant l’impact de ces alliances politiques.

De plus, les femmes cis comme les personnes non-binaires sont de plus en plus nombreuses à laisser tomber les considérations idéalistes des théories queer à travers une redécouverte progressive du matérialisme et des textes de lesbiennes radicales du siècle dernier, réinterprétant leur travail sous un prisme plus actuel et souvent à la faveur là encore des femmes trans (qui, notons le, sont en bonne partie responsables de ce regain de vigueur de ce mouvement qui avait été jusque là délaissé au profit du queer).

Plusieurs contradictions pèsent aussi sur les communautés transmasculines. D’un côté venant là aussi des adeptes de théories politiques matérialistes qui les poussent naturellement vers plus de solidarité avec les femmes trans. Mais d’un autre côté, et comme dit précédemment, car la solidarité AFAB ne peut se former sans une certaine forme d’essentialisme et donc de transphobie. Ainsi, si tous les groupes sociaux impliqués voient une contradiction entre leurs intérêts à court terme et leurs intérêts à long terme s’opérer, les hommes trans sont également en proie à une tension entre plusieurs intérêts à court terme divergents. Par exemple, s’il peut être aisé pour des hommes en début de transition de s’intégrer à des espaces féministes, le gain d’un passing significatif tend à poser beaucoup plus de problèmes et éroder grandement la bienveillance que les femmes cis et personnes non-binaires ont à leur égard, ce qui pousse bien des hommes trans avancés dans leur transition à changer d’allégeance en cours de route pour s’intégrer à d’autres espaces. Pour d’autres encore, les intérêts à cette solidarité ne sont jamais suffisants pour contrebalancer non seulement la transphobie inhérente au fait d’être considéré comme moins qu’un homme cis, mais également les intérêts qu’ils peuvent trouver à l’identification plus directe à la classe des hommes. C’est le cas notamment pour une partie des trans gays qui, en plus de ne voir que peu d’intérêt à être considérés comme une alternative à la misogynie des hommes cis, peuvent voir comme plus avantageux de s’intégrer le plus rapidement possible à leurs homologues cis gays et ainsi socialiser dans les communautés qui correspondent le plus à la classe qu’ils désirent rejoindre dès que possible.

Conclusion

Pour combattre cette vision essentialiste des individus, basée sur leur assignation sexuelle à la naissance, il est nécessaire de se détourner des théories idéalistes qui veulent expliquer le genre par la simple identification personnelle et tendent à nier la corporalité des transitions, reléguant le sexe à une donnée subjective extérieure au rôle que peuvent jouer les individus dans la société et ainsi assigner implicitement les femmes trans à une position définitive d’hommes alors même que toute la société leur refuse l’accès aux structures et pouvoirs dédiés. Heureusement, à travers tous ces cas et d’autres encore, les lignes sont en mouvement constant dans les différents milieux féministes et LGBTI et sont l’objet de multiples redéfinitions, notamment à mesure que les femmes trans trouvent de nouveaux réseaux de soutien lorsqu’elles osent prendre la parole pour refuser leur assignation au rôle ambivalent de victimes parfaites, à agiter comme étendard de sa performance militante, et de bourreaux des personnes AFAB. Ces réseaux forment un cercle vertueux, créant une plus grande libération de la parole qui elle-même modifie le rapport de force à l’intérieur des mouvements progressistes. Cependant ces avancées s’accompagnent nécessairement d’un backlash et à mesure que des courants historiquement en opposition semblent se rejoindre une partie des milieux queer semblent, eux, se radicaliser dans leur transmisogynie. C’est ainsi que des concepts comme la transmisandrie gagnent en popularité sous les différents noms derrière lesquels ce concept réactionnaire se cache, à mesure que les stratégies pour faire taire les femmes trans se répandent, notamment dans le monde anglo-saxon où, en parallèle, les femmes trans sont les premières victimes des attaques fascistes perpétrées par les états républicains sur les LGBTI.


Commentaires

Une réponse à « La solidarité AFAB en milieu queer »

  1. C’était grave intéressant merci !

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